Il y a quelques mois de cela nous avons été en contact avec une étudiante qui réalisait un Mémoire sur les Tiers Lieux et l'environnement. Son travail est très intéressant en de nombreux points que nous ne pouvons tous détaillé ici.
On assimile souvent "Mon Petit Entrepôt" à un Tiers Lieux ce qui n'est pas tout à fait exact. Il existe de nombreuses définitions et explications sur ce qu'est exactement un Tiers-Lieux et on trouve la sienne très intéressante ! Avec son accord on vous partage cette partie là. Pour plus d'informations ou renseignements vous pouvez la contacter par mail sur lucile.gounin@gmail.com
Bonne lecture,
Le “tiers-lieu”, un mot-valise derrière lequel se confrontent différentes idéologies
1. L'émergence du tiers-lieu
a. A l’origine, un concept visant à redynamiser les quartiers résidentiels américains
Le terme “third place” duquel est issue la traduction française “tiers-lieu” a été popularisé par le sociologue urbain américain Ray Oldenburg à la fin des années 1980.
Dans son livre, The Great Good Place, il part du constat que les lieux publics permettant “une vie publique informelle” sont en voie de disparition dans l’Amérique post-Seconde Guerre Mondiale, du fait, notamment, d’un étalement urbain de plus en plus tentaculaire. Il nomme ce phénomène "le problème de l'espace en Amérique", d'après une expression empruntée au journaliste américain Max Lerner.
Ce phénomène s'explique en partie par l'explosion de l'accession à la propriété à la fin des années 1950. En effet, comme le souligne le géographe David Harvey, "l’accession à la propriété a été vivement encouragée et a été présentée comme un élément central du “rêve américain” ; dans les années 1940, à peine plus de 40% de la population américaine étaient propriétaires de leur logement, un taux qui s’est élevé à 60% dans les années 1960.[4]"
Les premiers visés par ces incitations gouvernementales sont les vétérans de la Seconde Guerre Mondiale, notamment via le GI Bill de 1944[5]. Oldenburg souligne que "la vie dans les lotissements a peut-être satisfait les aspirations du vétéran pour un hâvre sûr, ordonné et calme, mais elle
[4] David Harvey, Villes Rebelles. Du droit à la ville à la révolution urbaine (Paris : Buchet Chastel, 2015) 102-103
[5] Ibid.
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offre rarement le sens d'appartenance qui a enraciné ses parents et grands-parents.[6]"
Sans être en mesure de déterminer si cette volonté de se retrancher de la vie sociale est une cause ou une conséquence directe de ce "problème de l'espace en Amérique", Ray Oldenburg pointe du doigt un niveau de vie toujours plus élevé, qui ne semble pour autant pas satisfaire ses concitoyens. En effet, les Américains chercheraient à compenser une solitude grandissante par de nombreux divertissements toujours plus onéreux dans le cadre rassurant de villas de plus en plus spacieuses. Dans le même temps, les dépenses de santé ne vont pas en diminuant. Dans un article de Time Magazine en date du 6 juin 1983 qu'Oldenburg cite, Claudia Wallis écrit : "c'est un signe désolant de notre temps que les trois médicaments les plus vendus dans ce pays soient un remède contre les ulcères (Tagamet), un médicament contre l'hypertension (Inderal) et un tranquillisant (Valium).[7]"
Max Lerner, que Ray Oldenburg cite en ouverture de son livre, pensait en 1957 que le sentiment nostalgique ambiant traduisait plutôt une "quête de communauté" plutôt qu'un retour effectif aux petites villes. Bien qu'Oldenburg partage son avis, il estime que "des maisons seules ne font pas une communauté, et les lotissements typiques se sont révélés hostiles à l'émergence d'une structure ou d'une utilisation de l'espace allant au-delà des maisons et rues uniformes qui les caractérisent.[8] "
Pour Ray Oldenburg, une vie équilibrée et épanouie est constituée de trois sphères distinctes qui se classent en fonction du temps qu'elles représentent. La première s'articule autour de la vie domestique, la
[6] Ray Oldenburg, The Great Good Place (Philadephia : Da Capo Press, 1997) 4 (Traduction : Lucile Gounin)
[7] Claudia Wallis, "Stress Can We Cope? Time (6 juin 1983) in Ray Oldenburg, The Great Good Place (Philadelphia : Da Capo Press, 1997) 10 (Traduction : Lucile Gounin)
[8] Ray Oldenburg, The Great Good Place (Philadephia : Da Capo Press, 1997) 4 (Traduction : Lucile Gounin)
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deuxième, de la vie productive et la dernière, de la sociabilité. Chacune de ces sphères possède ses propres caractéristiques et dispose d'endroits précis où elles s'exercent. Pour la vie domestique, il s'agit de la maison, pour la vie productive, du lieu de travail et pour la sociabilité, ce sont tous les espaces neutres, que les géographes nomment "espaces interstitiels", qui permettent la rencontre avec ses voisins et amis, des espaces dans lesquels aucun des participants n'a besoin de jouer le rôle de l'hôte.
Ce domaine s'étant considérablement réduit au fil du temps, Oldenburg préconise la réintroduction de tiers-lieux ou troisième-lieux (l'adjectif "third" en anglais regroupant ces deux acceptions) dans les quartiers résidentiels afin de retrouver une vie publique informelle, signe d'une démocratie en bonne santé.
Le tiers-lieu serait donc un endroit neutre, sans prétention, plaçant tous ses convives sur un pied d'égalité, ne concernant ni la maison, ni le travail, où l'on pourrait se rendre à pied pour relâcher la pression de la journée dans une ambiance festive et amicale. C'est un lieu où l'on se sent comme chez soi, et où l'on vient principalement pour discuter. La conversation est en effet la source d'animation principale des tiers-lieux.
Un tel lieu, selon Ray Oldenburg, est “typiquement un lieu de commerce[9]” qui possède des heures d'ouverture larges. L'exemple le plus frappant serait le pub de village ou de quartier si commun en Angleterre.
la caractérisation d'un espace en tiers-lieu tiendrait d'un ensemble de conditions remplies plutôt que d'une revendication de la part des propriétaires de ce lieu. En effet, Ray Oldenburg insiste : "les tiers-lieux [...] ne sont pas construits pour être des tiers-lieux. Et même, des
[9] Ray Oldenburg, The Great Good Place (Philadephia : Da Capo Press, 1997) XX (Traduction : Lucile Gounin)
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établissements constuits pour d'autres buts sont réquisitionnés par ceux qui cherchent un endroit où ils peuvent s'attarder en bonne compagnie[10]."
Ainsi, la caractéristique essentielle du tiers-lieu est celle de son appropriation par le public. Oldenburg souligne que "ceux qui revendiquent un tiers-lieu, se réfèrent typiquement à lui en utilisant un possessif à la première personne ("Chez Rudy est notre repère"), et s'y comportent effectivement comme s'ils possédaient l'endroit. [...] Ce sont des membres en bonne et due forme, une partie du groupe qui font le lieu. [...] Plus les gens viennent dans un lieu, l'utilisent, et deviennent eux-même une partie de ce lieu, plus ce lieu est à eux.[11]"
Par ailleurs, revendiquer cette appellation pourrait potentiellement être considérée comme prétentieuse par le public et avoir l'effet contraire de celui escompté. Ray Oldenburg rappelle que "la simplicité et la modestie entourant ces tiers-lieux est entièrement appropriée et ne pourrait probablement pas être différente. Car là où il y a même le plus petit éclat, les gens s'en trouvent mal à l'aise [...] Quand on considère l'établissement comme l'endroit "in" où il faut être vu, le mercantilisme règne. Quand cela arrive, l'établissement peut survivre, il peut même prospérer, mais il cesse d'être un tiers-lieu.[12]"
Après la publication de The Great Good Place à la fin des années 1980, ce concept s'est rapidement propagé dans d'autres milieux et a fait des émules un peu partout dans le monde. Intéressons-nous maintenant à son accueil en France.
b. Arrivée en France : glissement du concept vers une réduction de la fracture numérique
[10] Oldenburg, op. cit. 36
[11] Oldenburg, ibid., 40 - 41
[12] Oldenburg, ibid. 37
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Une rapide recherche dans Cairn, la base de données d'articles de recherches en Sciences Humaines, nous permet dans un premier temps d'établir que la notion de "tiers-lieu", comme un lieu qui ne serait ni la maison, ni le lieu de travail, fait son apparition sur le territoire hexagonal vers 2010.
Il est intéressant de noter que l'article le plus ancien répertorié dans Cairn faisant référence aux tiers-lieux s'adresse à l'Etat et aux Collectivités Territoriales et prône une utilisation des technologies numériques en vue de parvenir à un développement durable des territoires[13]. L'une des pistes mise en avant serait de développer le télétravail afin de limiter l'impact des déplacements pendulaires, générateurs d'importantes émissions de CO2. Cependant, prenant en compte les questions de stress, lié à une utilisation excessive des écrans, et de risque de perte du lien social, l'auteur préconise le "développement de tiers-lieux ou lieux intermédiaires[14]".
Il définit ces "lieux intermédiaires" comme des "télécentres de nouvelle génération" disposant d'espaces adaptés au travail, ouverts à tous, ayant accès à "toutes les technologies de communication de haut niveau, ainsi qu'à tout l'accompagnement nécessaire" et situés à proximité du domicile, facilement accessibles à pied, à vélo ou en transports en commun en moins de vingt minutes.
Il ne néglige cependant pas la fonction de socialisation de ces lieux partagés par des usagers habitant le territoire, lieux qui "représente[nt] un réel outil de cohérence territoriale et d'entretien du lien social, presque inaccessible à ceux qui travaillent trop loin de leur domicile."
[13] Gilles Berhault, "Développement durable des territoires", Revue française d'administration publique n°13, février 2010.
[14] Op. Cit. Berhault, 8
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Il prend également en compte l'ouverture de ces espaces à un public plus large, mais toujours dans l'optique de valoriser le monde du travail ou les efforts investis en matière de développement durable. Il propose ainsi que "ces télécentres [puissent] être aussi des espaces de pédagogie et d’animation sur l’évolution des modes de travail, l’exemplarité des bâtiments (énergie, déchets, qualité de l’air intérieur)."
Enfin il admet, que les collectivités territoriales puissent dans un second temps bénéficier de ces espaces en fonction de leurs besoins afin d'animer la vie communale.
A la lecture de cet article, on s'aperçoit que la notion de tiers-lieu semble interchangeable avec la notion de "lieu intermédiaire". Aucune référence n'est faite au concept de Ray Oldenburg et sa définition originelle n'est pas rappelée.
Il semblerait que ce soit une tendance générale parmi les auteurs de cette époque qui évoquent les tiers-lieux. Ainsi, Didier Paquelin définit les tiers-lieux de manière très fonctionnelle comme : "des lieux publics qui peuvent être ou non labellisés et qui sont regroupés sous le vocable Point d’Accès Public à Internet. Certains sont appelés « espace public numérique » (EPN). Ils proposent des activités d’initiation ou de perfectionnement variées et encadrées, par le biais d’ateliers collectifs, mais également dans le cadre de médiations individuelles et de plages réservées à la libre consultation.[15]"
Quant à Valérie Fernandez, Caroline Guillot et Laurie Marrauld, elles y voient un synonyme de "télécentre"[16] qu'elles définissent comme "une
[15] Didier Paquelin, "la distance, question de proximité" Distances et savoirs, vol. 9, 2011 p. 577
[16] "Avec la diffusion des TIC, le terme de « télétravail » renvoie aujourd’hui à des situations et des critères variés : [...] le travail en télécentre, « tiers-lieu », dans lequel peuvent se rendre les salariés [...]"
Valérie Fernandez, Caroline Guillot et Laurie Marrauld, "Télétravail et 'Travail à distance équipé'", Revue française de gestion n°238, 2014. p. 102
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ressource immobilière composée de bureaux équipés d’outils informatiques et mis à la disposition de télétravailleurs.[17]"
Le premier à mentionner l'origine du concept est Antoine Burret, dans son article "Démocratiser les tiers-lieux". En présentant les tiers-lieux comme des "espaces intermédiaires, à mi-chemin entre espace de travail et domicile[18]", il rend les frontières poreuses entre les trois sphères décrites par Ray Oldenburg pour atteindre une vie équilibrée et épanouie, et légitime une diffusion progressive de la sphère productive à tous les niveaux.
Cela se confirme dans la définition qu'il en donne : "la notion de tiers-lieux regroupe une multitude d’initiatives. Elle englobe des espaces aussi divers que des coworking spaces (espaces de travail collaboratifs), des fablabs (laboratoires de fabrication), des techshops (espaces rendant accessible tout un ensemble d’outils) ou encore des hakerspaces (espaces permettant le partage de ressources et de savoirs souvent du domaine de l’informatique). Certains tiers-lieux regroupent parfois plusieurs de ces fonctions en un seul espace, engendrant un nombre considérable de combinaisons possibles.[19]" Ainsi, Antoine Burret conçoit avant tout le tiers-lieu comme un espace permettant de créer de nouvelles formes de travail.
Pour autant, la sociabilité fait toujours partie de l'ADN du tiers-lieu et doit être sauvegardée et valorisée, mais elle passe en second plan. Ainsi, il souligne que "cette combinaison de plusieurs fonctions dans un seul espace permet de diversifier les profils des bénéficiaires et de multiplier les formats d'animation. [...] Ainsi, par les technologies du numérique, l'espace favorise les liens et les échanges créatifs en initiant de nouvelles formes d'interactions sociales informelles. L'accessibilité, l'ouverture et la
[17] Ibid.
[18] Antoine Burret, "Démocratiser les tiers-lieux", Multitudes n°52, janvier 2013 p.89
[19] Burret, Ibid.
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flexibilité de l'espace permettent à des amis, des habitants du quartier ou des professionnels d'un secteur donné de se retrouver et de se mélanger.[20]"
A son arrivée en France, la notion de tiers-lieu semble s'être intimement liée à la diffusion des techniques de l'information et de la communication. Elle s'est particulièrement bien intriquée avec le développement de communautés numériques du logiciel libre prônant l'indépendance du web.
"Le Comptoir Numérique" est l'un des premiers tiers-lieu à voir le jour en France dès 2010. Installé à Saint-Etienne sous l'impulsion de Yoann Duriaux, notamment, il permet dans un premier temps de fusionner un espace de coworking et un Espace Public Numérique (EPN), tout en s'inscrivant dans la continuité des missions de ce dernier : permettre un accès égal de tous à Internet afin de réduire la fracture numérique en France. Si au départ les deux espaces sont différenciés, l'appropriation par le public fait rapidement disparaître cette distinction et permet l'apparition d'une dynamique synergique, renforcée par le rôle de l'animateur, qui prendra par la suite le nom de concierge[21].
Fortement influencé par les principes d'Education Populaire, qui visent à former les citoyens par et pour eux-mêmes, et par ceux du web 2.0, qui développent la participation et l'interactivité en s'appuyant sur l'intelligence collective, le Comptoir Numérique se revendique "tiers-lieu" et vise à "développer et redistribuer de la valeur d'usage sur le territoire et auprès de ceux qui le constituent.[22]" Sur Movilab, la "méthodologie de documentation libre" des tiers-lieux, cofondée par le même Yoann Duriaux, le modèle économique du Comptoir Numérique est décrit comme "ne
[20] Burret, op. cit. 93
[21] "Au Comptoir Numérique /3" Site web de Movilab, consulté le 25 juillet 2019
https://movilab.org/wiki/Au_Comptoir_Numérique/3
[22] id.
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repos[ant] pas en priorité sur une offre de services mais sur l’émergence et le développement de projets coopératifs entre les usagers de la communauté et des groupes qui l'habitent[23]".
Selon Yoann Duriaux, "un tiers-lieu, c'est simplement un mot chapeau qui va permettre à un lieu physique pendant une heure, pendant une journée d'accepter qu'on ait de la transversalité dans les discussions.[24]" Son objectif "réside dans [sa] capacité de résilience [...] : notre capacité dans un tiers-lieu à créer des services qu'on va revendre finalement aux coopératives d'activité, avec des valeurs ESS.[25]"
Ainsi, le tiers-lieu est posé en laboratoire d'expérimentation visant à explorer d'autres manières de faire évoluer la société marchande. L'une de ces manières consiste à y injecter les valeurs de l'Economie Sociale et Solidaire de laquelle il se revendique.
Dès son apparition en France, le tiers-lieu est marqué par une réflexion liée à l'écologie. Nous avions déjà évoqué la première publication française à ce sujet, évoquons maintenant la figure de Yoann Duriaux.
Yoann Duriaux est un acteur incontournable des tiers-lieux en France. Refusant la casquette d'expert, il se place en explorateur du web et des tiers-lieux. Lors d'une conférence[23], il déclare : "J'y connais rien en techno à la base, je suis plutôt un écologiste qui était militant WWF, président d'associations assez engagées. Je suis entré par cette entrée-là."
[23] id.
[24] Yoann Duriaux Pourquoi le tiers-lieux sont porteurs d'espoir ? Les Visionautes, NiceFuture 19, (2:52)
https://www.youtube.com/watch?v=4k3dHesCBv0
[25] Yoann Duriaux "Quel autrement numérique ?" Espace Public Numérique, Espaces Régionaux Internet Citoyen et Economie Sociale et Solidaire, ARSENIC Marseille le 30 novembre 2011 (47:16)
https://www.dailymotion.com/video/xqje75
[26] id.
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Exaspéré par des politiques top-down, "où quand des décisions publiques sont prises, on nous sort des magazines distribués à 300.000 exemplaires[27]", il décide dès 2004, début du web participatif ou web 2.0, de diffuser des vidéos pour dénoncer cela. Et de conclure, "les EPN, tout ça, c'est venu après." Lors de cette même conférence, il souligne les enjeux écologiques auxquels la société doit faire face : "on sait bien que l'empreinte écologique a mis tout le monde d'accord, les scientifiques, les industriels ... On bouffe trois planètes, il n'y en a qu'une. Donc voilà, les enjeux ils sont là finalement, c'est : comment on change.[28]"
Bien-sûr, les modes de déplacement et de consommation sont à remettre en question, mais l'une des solutions qu'il évoque sans la développer est celle de modes de consommation collaboratifs. Il rejoint en cela, Gilles Berhault, l'auteur du premier article susmentionné, qui pour rappel prônait un développement des tiers-lieux notamment pour faire diminuer les émissions de CO2 liées aux déplacements pendulaires.
Il est intéressant de noter ici, que le développement technologique est apparenté à une solution optimiste face aux enjeux sans précédent de dérèglement climatique, sans qu'il soit envisagé qu'il participe lui-même à ce phénomène. Nous reviendrons plus tard sur ce point.
c. Résonance avec d'autres concepts existants
La notion de tiers-lieux, touchant de nombreux secteurs économiques, semble s'être rapidement immiscée dans les réflexions notamment en ce qui concerne l'aménagement du territoire.
Cependant, des concepts présentants de nombreuses ressemblances sont identifiés dès 2001 dans le rapport "Une nouvelle époque de l'Action
[27] id.
[28] id.
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Culturelle[29]" sous la direction de Fabrice Lextrait, dans le secteur des arts et de la culture.
Ainsi, nommés dans un premier temps "lieux intermédiaires", puis plus tard, "les nouveaux territoires de l'art", ils semblent échapper, comme le tiers-lieu, à toute logique de catégorisation. Ils regroupent toute une série d'initiatives artistiques et culturelles sortant du cadre habituel des projets subventionnés, souvent institutionnalisés ou des produits culturels des industries créatives.
Il est toutefois intéressant de noter que l'adjectif "intermédiaire" indique une organisation collective qui met en valeur l'échange, le débat et la collaboration aussi bien dans la vie quotidienne que dans la réalisation de projets artistiques, souvent personnels.
Dans un lieu intermédiaire, artiste et public discutent, créent, font ensemble. Les oeuvres s'inventent au fil des échanges. Le rapport au public est donc primordial : tous contribuent selon leurs compétences, comme acteurs ou décorateurs par exemple.
Au-delà d'un travail d'identification, le rapport Lextrait souhaite avant tout créer des passerelles entre l'Institution d'une part et de nouveaux usages, de nouvelles formes artistiques de l'autre, sans toutefois tomber dans le piège de la récupération institutionnelle. Cela se révèlerait un contresens dans la mesure où nombre de ces acteurs adoptent une posture de défiance revendiquée vis-à-vis de l'Institution, alors associée à une figure d'autorité. Toutefois, Fabrice Lextrait note qu'un certain type de reconnaissance institutionnelle est recherché par ces mêmes acteurs. Le but est alors de bien positionner les curseurs afin que chacun s'y retrouve.
[29] Fabrice LEXTRAIT, Une nouvelle époque de l'action culturelle, rapport à Michel Duffour, secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle, mai 2001.
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Car à l'instar des tiers-lieux, ces "Nouveaux Territoires de l'Art" s'organisent autour d'une gestion horizontale, qui abolit le rapport de subordination employeur/employé. Aussi, nombre de ces lieux sont régis par des formes d'organisation démocratique avec des assemblées générales, un petit groupe de volontaires qui fait "tourner la boutique" et des groupes de travail qui veillent à la réalisation de plusieurs projets artistiques.
Dans une interview accordée à la revue professionnelle L'Observatoire des Politiques Culturelles, Fabrice Lextrait explique qu'"[il] retrouve des éléments de langage qu'[ils] avaient, et peut citer des centaines d'aventures s'inscrivant dans cette démarche.[30]" Il met toutefois en garde contre le risque de voir disparaître l'artistique dans les tiers-lieux.
Il accepte cependant la dénomination de "tiers-lieux culturels et artistiques" qu'il qualifie de "pratiques" et non de "concept", qui "incarnent en ce sens, la "culture du quotidien" d'André Gorz, des lieux, des projets ou "des relations sociales qui favorisent le respect et l'entretien du bien commun."[31]"
Le développement du concept de tiers-lieu et son implantation en France répondent à certaines logiques, que nous avons commencé à effleurer. Intéressons-nous à présent plus spécifiquement aux idéologies qui se cachent derrière cette notion.
2. confrontations d’ideologies
a. A l'origine, une certaine idée de l'Amérique
[30] Fabrice LEXTRAIT, propos recueillis par Jean-Louis BONNIN "2001-2018 : des nouveaux territoires de l'art aux tiers-lieux" L'Observatoire 2018/2 (n°52), p. 22-25
[31] id.
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En défendant le concept de Tiers-Lieux, Ray Oldenburg dresse le portrait nostalgique d'une Amérique fantasmée, en s'appuyant sur des conceptions d'une Europe tout aussi fantasmée.
Ainsi, il explique que "la camaraderie pour les Français n'est pas laissée aux penchants individuels, au temps libre, et au hasard, comme c'est souvent le cas pour les Américains. Les principes français de liberté, égalité, fraternité sont mis en pratique institutionnellement. La pause déjeuner dure deux heures, une heure pour la fraternité. L'heure du dîner est tardive car l'heure précédente est dédiée à la fraternité. Dans tous les cas, le bistro est le cadre habituel dans lequel la fraternité s'exprime. Là où le niveau de vie éclipse le style de vie, la gamelle est engloutie en quinze minutes ou moins et en privé, mais cette injure au style de vie n'a jamais pris en France.[32]"
Pour Ray Oldenburg, les Européens en général savent apprécier la vie au contraire de ses concitoyens. Ainsi, "en Irlande, en France ou en Grèce, les configurations de base d'une vie publique informelle représentent un bon tiers de la vie des gens.[33]"
Cela s'exprime à plus forte raison en France : "Une fois que le travailleur français trouve une situation de travail tolérable, un logement adapté pour sa famille, et un bistro où il peut apprécier la compagnie de ses copains, il devient un objet immuable. Pourquoi devrait-il bouger ? [...] Ayant établi son premier, deuxième et troisième lieux, le Français s'affaire sagement à en profiter. Ce sont des individus satisfaits, ni seuls, ni dépendants du lendemain pour leur apporter les récompenses de la vie. Les Américains,
[32] Ray Oldenburg, The Great Good Place (Philadephia : Da Capo Press, 1997) 163-164 (Traduction : Lucile Gounin)
[33] Op. Cit. Oldenburg, 17 (Traduction : Lucile Gounin)
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ayant atteint en apparence une situation similaire, s'en détourne bien plus facilement, car l'Américain est conditionné à ne jamais être satisfait."[34]
Cette inclinaison des Américains à l'insatisfaction liée à la modernité expliquerait en partie le déclin des tavernes comme tiers-lieux en Amérique. Ray Oldenburg rappelle alors que les tavernes et autres saloons ont constitué un point d'orgue de la culture américaine par le passé : "A l'époque coloniale, la taverne était le point focal de la communauté. [...] Dans les nouvelles communautés qui poussaient aux frontières, la taverne ou le saloon était généralement la première structure à être érigée. Quand beaucoup de ces petites villes rendaient leurs dernières lueurs de vie, cela émanait des fenêtre du saloon - le dernier endroit à fermer. Dans l'essor de nos villes, c'étaient les saloons (Allemands et Irlandais, principalement) qui offraient un melting pot d'ethnies diverses. Pour les ouvriers, la taverne était un club et un complément chaleureux à la vie froide de l'usine et, dans les premiers temps, un bon verre et une bonne compagnie étaient tout ce dont on avait besoin pour faire aimer un établissement à une clientèle fidèle et assurer un roulement stable de son nombre de clients."[35]
A travers l'exemple de la petite ville de River Park[36] que Ray Oldenburg situe dans le Midwest du nord, il cherche à rappeler à ses concitoyens ce qu'était l'Amérique avant que la modernité ne s'installe uniformément sur tout le territoire : "Avec une population de 720 habitants, [River Park] était suffisamment grande pour répondre aux besoins de camaraderie mais suffisamment petite pour empêcher la division. Il y avait de la pauvreté à River Park et tout le monde la cotoyait ; ce n'était pas quelque chose d'étranger ni de stigmatisant. Il y avait beaucoup de vieux garçons et de vieilles filles, mais ils étaient intégrés à la vie sociale de la communauté. [...] L'hostilité rempante entre Protestants et Catholiques (il y avait eu une
[34] Op. Cit. Oldenburg, 154 (Traduction : Lucile Gounin)
[35] Id. Oldenburg, 165-166 (traduction Lucile Gounin)
[36] Malgré mes recherches, je ne suis pas parvenue à identifier cette ville. Il est possible qu'elle soit fictive et ne serve qu'à illustrer les idées de Ray Oldenburg d'une Amérique ancestrale.
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"guerre" de religion plus tôt dans l'histoire de la ville) ne se traduisait pas par des divisions ouvertes et ne contaminait pas la jeunesse de la communauté, dans l'ensemble.[37]"
Oldenburg défend donc une vision très nostalgique de l'Amérique. Cette vision, qui confine la femme au foyer, pendant que son mari décompresse au pub du coin avec sa bande d'amis est également très patriarcale.. Il estime en effet que "la ségrégation sexuelle est à l'origine des tiers-lieux et demeure globalement la base de l'attrait et des bénéfices que cette institution a à offrir.[38]" Le tiers-lieu offre donc aux hommes un lieu de repli afin de se préserver de l'autre sexe.
Il n'estime cependant pas nécessaire que les femmes disposent d'un lieu similaire. La société les oblige en effet à rester chez elles pour élever les enfants. "Que les hommes aient mérité d'avoir un endroit séparé n'est pas un mystère. La plupart des sociétés (sans doute, toutes les sociétés) ont été dominées par les hommes ; la survie de tous dépendait alors bien plus de la coopération et de la camaraderie des hommes que de celle des femmes ; élever les enfants a confiné la femme, pas l'homme.[39]"
Ajoutons à cela que Ray Oldenburg a une vision très précise du comportement idéal de l'homme. Il souligne que "la fumée de cigare et les gros mots ont longtemps fait partie d'un modèle généralisé du comportement masculin, dont la fonction était de protéger le territoire des hommes une fois acquis. Des cercles d'homme ont transmis certains styles et manières d'une génération à l'autre ayant pour effet de signaler une présence exclusivement masculine. Un fil de discussion fréquent, commun à la plupart de ces cercles était celui de la "rudesse masculine" et de son
[37] Op. Cit., Oldenburg 107 (traduction Lucile Gounin)
[38] Ray Oldenburg, The Great Good Place (Philadephia : Da Capo Press, 1997) 230 (Traduction : Lucile Gounin)
[39] Id. 233 (Traduction : Lucile Gounin)
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inadéquation à une compagnie mixte. Ces manières signalaient l'animal à l'intérieur de l'homme et le rejet du vernis de la civilisation.[40]"
En outre il regrette avec une certaine nostalgie la disparition de ce genre de comportements et s'oppose fermement à l'émergence d'une nouvelle "sensibilité" parmi les hommes qu'il estime néfaste à leur camaraderie traditionnelle. Il estime que "cette nouvelle sensibilité ne rend pas [les hommes] forcément plus prévenants à l'égard des femmes, mais elle diminue effectivement leur inclination et leur capacité à apprécier la camaraderie sans retenue des groupes d'hommes traditionnels. La rudesse ou vulgarité traditionenlle parmi les assemblées d'hommes de cette espèce n'avait pas seulement pour fonction de repousser les femmes, mais également de resserrer les liens entre hommes. [...] Les hommes qui maintiennent leur conversation à un niveau édulcoré, quand on leur en donne le choix, ne seront probablement pas à l'aise en société et ont peu de chance d'être de bons amis.[41]"
Cette vision d'un autre temps, n'a cependant pas résisté très longtemps lorsque le concept de tiers-lieu s'est exporté et a été approprié par d'autres milieux.
b. Une lutte idéologique de deux modèles antagonistes
En stipulant que : "les droits [naturels et imprescriptibles de l'Homme] sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression[42]", la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 légitime le droit de propriété privée, fondement même du système capitaliste, largement hégémonique à l'heure actuelle.
[40] Ray Oldenburg, The Great Good Place (Philadephia : Da Capo Press, 1997) 243 - 244 (Traduction : Lucile Gounin)
[41] Ibid.
[42] "article 2" Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et du Citoyen, 1789.
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Alors que les acteurs de l'économie capitaliste néolibérale tendent à présenter leurs solutions en insistant sur leur caractère nécessaire - on se souviendra du fameux slogan de Margaret Thatcher, "There is no alternative[43]" (TINA) - d'autres voix s'élèvent pour présenter des solutions plus équitables, plus solidaires face à un système prédateur.
Il s'agit d'une économie collaborative qui s'appuie sur la mise en commun de ressources naturelles et/ou intellectuelles et qui par là-même transcende le concept de propriété privée. Contrairement au système néolibéral qui ne voit dans la population que des consommateurs, l'économie collaborative place les citoyens au centre des décisions et les incite à devenir acteurs de la société. Des émanations de cette idéologie sont de plus en plus visibles au quotidien dans nos villes avec par exemple le développement de boîtes à lire, de boîtes à dons ou encore de frigos solidaires[44].
Cette lutte est dénoncée depuis de nombreuses années par les partisans du partage libre des données et de la neutralité du net. Le développement d'Internet est en effet le parfait exemple d'un commun ayant été en partie privatisé.
Si Arpanet, l'ancêtre d'Internet, est bien un projet militaire à son lancement en 1966, dès l'année suivante, il est largement modelé par l'effervescence créative de chercheurs universitaires. Ainsi, la première "Request For Comment" (RFC)[45], un document normatif élaboré collectivement qui s'imposera comme le standard d'Internet, est lancé en 1969 par un groupe de recherche de l'Université de Californie à Los
[43] "Il n'y a pas d'alternative" "There is no alternative", Wikipedia, consulté le 9 septembre 2019
https://fr.wikipedia.org/wiki/There_is_no_alternative
[44] Joséphine BOONE, "Des "frigos solidaires" en bas de chez vous pour lutter contre le gaspillage", Le Figaro.fr, 14 août 2019, consulté le 16 août 2019
http://www.lefigaro.fr/social/des-frigos-solidaires-en-bas-de-chez-vous-pour-lutter-contre-le-gaspillage-20190716
[45] "Request for Comments (RFC)" Wikipedia, conssulté le 16 août 2019
https://fr.wikipedia.org/wiki/Request_for_comments
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Angeles (UCLA). Cet esprit collaboratif qui marque les premières années du réseau, va se cristalliser peu à peu pour former la “sous-culture des hackers”.
Le terme de "hacker" est issu du "Tech Model Railroad Club" (TMRC), un club étudiant d'une autre université américaine prestigieuse, le Massachusetts Institute of Technology (MIT). Il préexiste à l'informatique et désigne au départ des détournements ingénieux d'objets ou de technologies, en vue de jouer un tour à un camarade. Petit à petit, il va désigner toute personne qui cherche à comprendre le plus finement possible, le fonctionnement d'une technologie. Le hacker est ainsi amené au fil de ses recherches à mettre le doigt sur des problèmes liés à l'encodage informatique de programmes et à générer des lignes de codes pour y remédier. La communauté des hackers se forme autour de valeurs de partage libre des données.
Avec l'apparition du modèle des logiciels propriétaires et des brevets initié par Bill Gates et Paul Allen via leur société Microsoft dès 1975, dans le monde informatique, puis suivis rapidement par Steve Jobs, Steve Wozniak et Ronald Wayne avec Apple, cet état d'esprit se trouve marginalisé et la figure du hacker largement diffusée dans les medias apparaît comme un dangereux pirate informatique. Même si elle est reléguée au second plan, la communauté du partage libre des données continue d'exister et de produire collectivement du code source, des systèmes d'exploitations, des programmes ou encore des logiciels, leur argument principal étant qu’un logiciel dont le code est ouvert sera forcément meilleur qu’un logiciel fermé car il bénéficiera d’une intelligence collective plus vaste.
En 1994, avec l’invention des cookies, une suite d’informations contenant parfois des données personnelles des visiteurs d’un site Internet, le ciblage publicitaire devient possible. S’il conserve pour le grand public une
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apparente gratuité[46], Internet devient le support d’un grand marché virtuel, dont la ressource principale est la collecte et l’analyse de données personnelles et comportementales des internautes. Ce mouvement s’accélère en 2004 avec l’arrivée de la publicité sur les réseaux sociaux.
Cependant, que ce soient les défenseurs du partage libre des données ou ceux du droit d’auteur et des logiciels propriétaires, tous s’accordent sur la défense de la neutralité du réseau, principe fondateur garantissant l’égalité d’accès et de traitement de tous les flux sur Internet. Ils s’opposent en cela aux fournisseurs d’accès à internet (FAI) qui y voient une occasion de générer des revenus via le contrôle, la régulation de la bande passante et la proposition d’offres différenciées d’accès aux contenus, quitte à censurer par leurs pratiques, des points de vue alternatifs.
De nos jours, la neutralité du net est régulièrement attaquée. En décembre 2017, elle a connu sa plus grosse défaite, lorsque les Etats-Unis l'ont abolie[47] sur le territoire fédéral, malgré la forte mobilisation derrière la campagne "Battle for the Net"[48], réunissant différentes ONG, le regoupement d'une quarantaine d'entreprises technologiques - comme Google, Facebook, Amazon ou encore Netflix - au sein de l' "Internet Association"[49] et la résistance d'une vingtaine d'Etats[50].
[46] Laurent CHEMLA "Si vous êtes le produit, ce n'est pas gratuit" La Quadrature du Net, le 17 août 2016, consulté le 19 août 2019
https://www.laquadrature.net/2016/08/17/si-vous-etes-le-produit/
[47] "Aux Etats-Unis, la neutralité du Net prend officiellement fin", Le Monde.fr, 11 juin 2018 consulté le 16 août 2019
https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/06/11/aux-etats-unis-la-neutralite-du-net-prend-officiellement-fin_5312968_4408996.html
[48] id.
[49] "Les grandes entreprises du Web veulent défendre la neutralité du Net devant les tribunaux", Le Monde.fr, 08 janvier 2018, consulté le 16 août 2019
https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/01/08/les-grandes-entreprises-du-web-veulent-defendre-la-neutralite-du-net-devant-les-tribunaux_5238746_4408996.html
[50] Lucas MEDIAVILLA, "Neutralité du net : l'administration Trump poursuit la Californie", Les Echos.fr, 01 octobre 2018, consulté le 16 août 2019
https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/neutralite-du-net-ladministration-trump-poursuit-la-californie-140474
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Sans surprise, on retrouve cette lutte d'idéologies dans différents domaines et à différentes échelles. Il existe cependant une autre confrontation, au sein même de cette vision collaborative.
Christine Liefooghe distingue dans l’économie de la connaissance un "paradigme technocentré, venu de Boston et de la Silicon Valley", qui serait défendu par "les entrepreneurs de start-up", appuyés par "le soutien sans faille des politiques publiques pour aider la société et les territoires à être résilients et à réussir leur transformation numérique[51]" et un modèle "d'économie collaborative, où le citoyen n'est pas seulement un usager, où le travail n'est pas "ubérisé", où la circulation des connaissances n'est pas bridée par des droits de propriété intellectuelle et où des projets co-construits émergent dans des tiers-lieux[52]."
Le chercheur en Sciences Sociales Hugues Bazin, semble partager son avis. Il pointe néanmoins du doigt une appropriation du tiers-lieu par ce "paradigme technocentré" : “On comprendra que cette révolution populaire n’est pas la révolution ultra-libérale de la “start-up nation” dont parfois les tiers-lieux sont devenus - à leur corps défendant - le symbole archétypal. Car, sur un autre plan, ces mêmes zones deviennent un objet de convoitise dans la forme néolibérale des “clusters” ou des “makers[53]”.
Bien que plaçant chacun l'écologie au coeur de leur démarche, cette différence de visions s'exprime clairement dans les modèles de deux tiers-lieux, thecamp à Aix-en-Provence et la REcyclerie à Paris.
Niché en pleine garrigue aixoise, thecamp se présente comme “un camp de base pour explorer le futur ![54]”. Imaginé par Frédéric Chevalier, fondateur
[51] Christine LIEFOOGHE, "Le tiers-lieu, objet transitionnel pour un monde en transformation", L'Observatoire 2018/2 (n°52), p. 9-11
[52] id.
[53] Hugues BAZIN, "La centralité populaire des tiers-espaces", L'Observatoire 2018/2 (n°52), p. 91-93
[54] "Un camp de base pour explorer le futur !", thecamp.fr consulté le 19 août 2019
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de HighCo, société française de marketing cotée en Bourse, thecamp ambitionne de "développer des solutions pour un futur enthousiasmant, optimiste[55]" en offrant un environnement de travail collaboratif propice au développement de l’intelligence collective à de jeunes entrepreneurs, chercheurs et créatifs. Ainsi, les projets développés à thecamp utilisent dans leur grande majorité les technologies numériques les plus avancées, que ce soit via le principe de la blockchain, une technologie de stockage extrêmement sécurisée, du Big Data, la collecte massive de données, via le développement et l'utilisation d'intelligences artificielles, ou encore, d'objets connectés.
Bien qu’aucune allusion ne soit faite au concept de tiers-lieu dans ses outils de communication, l’actuel président de thecamp, Olivier Mathiot, affirme qu'il en est bien un. Dans une interview donnée au magazine d’informations en ligne Made in Marseille, il déclare : “C’est, en effet, un tiers lieu à part entière. En entrepreneuriat, on appelle ça un « time to market », qui est parfait, puisque finalement nous sommes dans ce marché de la quête de sens, comme je disais. Il existe des tiers lieux comme la Singularity University en Californie, le MIT Lab… On a des concurrents dans le monde entier notamment aux Etats-Unis mais aussi en Europe, qui inventent des lieux avec du contenu inspirant et aucun de ses modèles n’a encore trouvé le Saint Graal. thecamp est comme une start-up, on doit pivoter, tester des choses… C’est un tout nouveau business-modèle. On devrait atteindre l’équilibre en 2022.[56]”
Chez thecamp, "créer un futur désirable" passe avant tout par inscrire le développement durable au coeur même du projet, que ce soit dans la
https://thecamp.fr/fr
[55] "A propos", thecamp.fr consulté le 19 août 2019
https://thecamp.fr/fr/a-propos
[56] Olivier MATHIOT, propos recueillis par Narjasse KERBOUA, "thecamp se restructure et maintient ses ambitions pour l'avenir", madeinmarseille.net, le 26 avril 2019, consulté le 16 août 2019
https://madeinmarseille.net/47346-avenir-the-camp-olivier-mathiot/
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construction du bâtiment, dans son exploitation ou dans la transmission de valeurs aux différents publics.
Rappelant les architectures ultramodernes des sièges sociaux des géants américains du numérique, ce nouveau lieu s’offre un écrin dessiné par l’architecte française Corinne Vezzoni. Toutefois, au-delà du spectaculaire, la construction des structures de ce lieu tient fortement compte de son environnement. Ainsi, une étude de la faune et de la flore a été menée sur le site en amont de la conception, afin de la préserver au mieux, les différentes parties de la construction s'adaptent au relief, les matériaux ont été choisis en fonction de leur faible impact sur l'environnement et l'adaptation du projet dans le paysage a été intégré. Dans son fonctionnement au quotidien, chaque geste, chaque usage est pris en compte afin de tendre vers l'empreinte carbone la plus faible possible et le zero déchet. Ainsi, 100% de l'électricité du campus provient de sources d'énergie renouvelable, le café provient d'un fournisseur proposant du vrac et est servi dans des éco-cups réutilisables, ou encore, le restaurant ne propose que des plats végétariens[57].
Avec 80 millions d'euros investis[58], thecamp est un projet ambitieux regroupant un très grand nombre de partenariats publics et privés, comme Accenture, Accor, Airbus, Air France, SNCF, Vinci ou encore La Poste.
Contrairement aux autres tiers-lieux que nous avons présentés jusqu'ici, La REcyclerie n'est ni un tiers-lieu dédié au travail et à ses nouvelles configurations, ni un tiers-lieu promouvant le tout numérique ; au contraire, lors d’une visite guidée de la REcyclerie, nous apprenons que sa ferme urbaine s'inscrit davantage dans une démarche low-tech,
[57] Rapport "Développement Durable" Thecamp, 2018
[58] Audrey CHABAL, "The Camp, un autre futur se construit en Provence", Forbes.fr, le 29 septembre 2017, consulté le 19 août 2019
https://www.forbes.fr/entrepreneurs/the-camp-un-autre-futur-se-construit-en-provence/?cn-reloaded=1&cn-reloaded=1
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réhabilitant des techniques anciennes comme la culture sur buttes ou encore l’arrosage à l’aide d’oyas, plutôt que d’utiliser des installations ultra-connectées. Cette ancienne gare de la petite couronne, située dans le XVIIIe arrondissement de Paris est avant tout repensée comme un lieu de passage, un lieu de vie qui n'est véritablement ni la maison, ni le travail et se rapproche en cela du concept de base de Ray Oldenburg.
Le projet s’articule autour de l’écocitoyenneté qu’on retrouve dans tous les aspects du lieu. Ainsi, l’accompagnement du visiteur dans sa prise de conscience écologique - qu’il soit adhérent de l’association “Les Amis Recycleurs”, habitant du quartier ou simplement de passage - est au coeur du fonctionnement de La REcyclerie, que ce soit au restaurant qui cuisine des plats bio, avec des aliments locaux, produits directement sur place ou aux alentours, et de saison, qui responsabilise ses clients en les laissant eux-même se servir, débarrasser et jauger leur consommation de pain, ou encore qui composte tous les déchets valorisables, ou bien dans la programmation culturelle qui propose environ 800 événements par an sous la forme de conférences portant sur des thèmes comme l’agroforesterie, la sobriété énergétique ou encore le zéro déchet, d’ateliers de jardinage dans le potager ou dans la serre, de création d’objets en Do It Yourself, de festivals ou de marchés de créateurs.
Dans tous ses aspects, l’expérience du visiteur doit être agréable et conviviale. Dans une interview donnée au Mooc Permagaïa, Stéphane Vatinel, le directeur d’exploitation de La REcyclerie explique que : “Beaucoup d’étudiants ou de personnes à faibles revenus s’installent et travaillent ici. Ils consomment de l’espace et nous trouvons ça très bien car c’est réellement la vocation de la REcyclerie : devenir un espace public.[56]” Il précise également que la particularité de la REcyclerie “c’est qu’à partir du moment où vous avez passé la porte, personne ne vous demandera ce que
[59] Stéphane VATINEL, propos recueillis par Philippe BLANCHARD, "La REcyclerie, éduquer par le partage", PermaGaïa n°1, 1er semestre 2018
vous voulez boire ou manger. Vous pouvez vous asseoir pendant des heures, prendre de l’eau, manger du pain, aller librement aux toilettes, on ne va rien vous demander. Cela peut sembler un peu trivial, mais de tels endroits sont assez rares. C’est le premier vecteur de non sélection des gens qui viennent et nous sommes très ouverts.[60]”
La REcyclerie, composée d’une SAS, le restaurant, et d’une association, les Amis Recycleurs, est en effet une structure de l'Économie Sociale et Solidaire. Le bar / restaurant permet de financer en partie l’animation du lieu, portée par l’association, qui elle-même en retour permet d’attirer des clients au bar / restaurant. Ces valeurs sont importantes pour Stéphane Vatinel qui rappelle que “dans l'abréviation de l’économie sociale et solidaire, ESS, les trois lettres sont aussi importantes les unes que les autres.[61]”
La programmation est également portée par le partenariat que la REcyclerie a développé avec Véolia, dont nous reparlerons plus en détails.
A travers ces deux exemples, nous découvrons ainsi différentes façons d’envisager la notion de tiers-lieu. Bien que deux idéologies dominantes semblent s’affronter, on ne peut toutefois pas en conclure que cette concurrence se ressente sur le terrain des tiers-lieux. La coexistence pacifique semble plutôt de mise, les actions proposées par les lieux étant les outils les plus pertinents pour convaincre les citoyens.
Après avoir évoqué son origine et les différentes idéologies qui peuvent s'y cacher, l’essence du tiers-lieu reste malgré tout assez floue. Pour mieux comprendre de quoi il retourne, intéressons-nous à présent à son appropriation par différents milieux.
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3. caractériser le tiers-lieu : une tâche ardue
Pour Arnaud Idelon, journaliste indépendant et cofondateur du collectif Bright Lights Big Cities (BLBC) à Manchester, “Le tiers-lieu s’appréhende au travers de la même définition par la négative que celle qui est à l’oeuvre dans les expressions “tiers-monde” et “tiers-état” ; l’objet se définit par rapport à un système binaire en place, par rapport auquel il s’inscrit en creux. Le tiers n’est ni l’un, ni l’autre certes, mais se définit en miroir d’un référentiel. Ce référentiel, pour Ray Oldenburg - sociologue urbain américain inventeur du concept de troisième lieu (third place) - c’est l’univers domestique de la maison vs l’univers du travail.[62]”
Et en effet, lorsqu'on s'intéresse aux différentes définitions données par des acteurs aussi différents les uns que les autres, cette formule de "ni la maison, ni le travail" revient systématiquement, même auprès de ceux qui voient dans les tiers-lieux, de nouveaux espaces pour reconfigurer le travail.
Cette appréhension du concept par la négative, comme le souligne Arnaud Idelon, est très intéressante. Plutôt que de le borner à une définition très figée, elle lui laisse beaucoup plus d'espace pour explorer différentes facettes, évoluer, se transfomer. Ainsi, Antoine Burret, que nous avons évoqué précédemment déclare : "Je me refuse à définir le tiers-lieu car cela figerait une notion qui par essence est en mouvement.[63]"
[62] Arnaud IDELON, "Tiers-lieu culturel, refonte d'un modèle ou stratégie d'étiquette ?" L'Observatoire 2018/2 (n°52), p. 27-30
[63] Antoine BURRET, propos recueillis par Bristophe BYS, " "Les tiers lieux réunissent des intellectuels aliénés qui inventent une nouvelle façon de travailler", explique Antoine Burret", L'Usine Digitale, le 03 avril 2015 consulté le 19 août 2019
https://www.usine-digitale.fr/editorial/les-tiers-lieux-reunissent-des-intellectuels-alienes-qui-inventent-une-nouvelle-facon-de-travailler-explique-antoine-burret.N322889
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Loin de vouloir figer le tiers-lieu dans un carcan qui ne lui conviendrait guère, nous allons d'abord nous intéresser aux différents types de tiers-lieux afin d'avoir une vision plus globale du milieu, puis à partir des définitions des différents acteurs, nous tenterons de dégager des caractéristiques communes afin de déterminer où se situe la ligne entre un tiers-lieu et un lieu classique.
a. Des typologies pour cerner les différents tiers-lieux
Plusieurs typologies des tiers-lieux ont été proposées soit par des chercheurs, soit par des agences, soit par des acteurs des tiers-lieux eux-mêmes.
Nous avons choisi de nous appuyer d'une part sur la typologie des tiers-lieux proposée par Raphaël Besson[64], chercheur en sciences du territoire associé au laboratoire de Sciences Sociales PACTE et d'autre part sur la Cartographie bêta des "espaces hybrides[65]" proposée par l'Agence Prima Terra.
Raphaël Besson distingue quatre catégories de tiers lieux :
· des tiers-lieux d'activité et des coworking spaces, "spécialisés dans la création d'espace de travail partagés et collaboratifs[63]"
· des tiers-lieux d'innovation, qu'il décrit comme des espaces qui "cherchent à stimuler les processus d'innovation en s'appuyant sur des méthodes d'intelligence collective, l'expérimentation et le prototypage.[67]" Il range dans cette catégorie les fablabs - des espaces de mise à disposition du grand public de technologie de
[64] Raphaël BESSON, "Les Tiers-Lieux culturels, chronique d'un échec avancé", L'Observatoire 2018/2 (n°52), p. 17-21
[65] Terra Prima Cartographie bêta des "espaces hybrides", 2016
[66] Raphaël BESSON, "Les Tiers-Lieux culturels, chronique d'un échec avancé", L'Observatoire 2018/2 (n°52), p. 17-21
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pointe, de connaissances et de compétences techniques - et les living labs - espaces de test "grandeur nature" de nouvelles technologies par des citoyens lambda.
· des tiers-lieux sociaux et d'innovation publique qui "portent un objectif social affirmé autour d'enjeux de société, de participation citoyenne et d'action publique.[68]"
· des tiers-lieux culturels qu'il définit comme des "espaces hybrides et ouverts de partage des savoirs et des cultures qui placent l'usager [...] au coeur des processus d'apprentissage, de production et de diffusion des cultures et des connaissances.[69]"
Il insiste sur le caractère émergent de cette dernière catégorie et la place à mi-chemin entre le cadre institutionnel et les citoyens. Ainsi, "les tiers-lieux culturels sont encastrés dans leur territoire et se positionnent comme des interfaces entre l'upperground des institutions culturelles, et l'underground des habitants, des usagers et des sphères culturelles et artistiques émergentes et alternatives.[70]"
Bien qu'elle permette de distinguer des usages très différents, cette typologie enferme les tiers-lieux dans des catégories rigides et empêche de créer des passerelles entre les différentes expériences.
Ainsi, si nous devions qualifier la REcyclerie selon cette typologie, il nous serait difficile de déterminer s'il s'agit d'un tiers-lieu social et d'innovation publique ou d'un tiers-lieu culturel. En effet, La REcyclerie a pour objectif de promouvoir l'écocitoyenneté, qui est donc un "objectif social affirmé autour d'enjeux de société, de participation citoyenne et d'action publique". C'est également un "espace hybride et ouvert de partage des savoirs et des cultures" qui propose un accès à une bibliothèque
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d'ouvrages portant sur des thèmes écologiques, des ateliers de jardinage avec des jardiniers professionnels, des ateliers de conversation mêlant des francophones et des nouveaux arrivants ayant besoin de perfectionner leur apprentissage du français ou encore des conférences et des débats autour de l'éco-citoyenneté. L'usager est bien "au coeur des processus d'apprentissage, de production et de diffusion des cultures et des connaissances", se plaçant tantôt comme apprenant, tantôt comme enseignant.
La cartographie de l'Agence Prima Terra (fig. 2) contourne cette rigidité en situant différentes expériences de tiers-lieux en fonction d'un double continuum d'enjeux. Ainsi l'axe x représente le continuum allant de la gestion de biens communs à la marchandisation de biens privés et l'axe y, le continuum allant d'enjeux sociétaux à des enjeux entrepreneuriaux.
Elle permet de mettre en lumière les différentes logiques qui, à l'heure actuelle, structurent le champs des tiers-lieux et autorise des expériences inédites à s'insérer dans ce modèle dans le futur.
Ainsi, selon cette représentation, la REcyclerie se situerait dans le cercle des "Ecolieux" tandis que thecamp serait plutôt entre la sphère du "coworking", du "civiclab" et du "workcafé".
Maintenant que l'étendue du champ des tiers-lieux nous apparaît un peu plus clairement, penchons-nous sur les caractéristiques qui le fondent.
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b. Des définitions qui s'accordent sur des caractéristiques communes
De la définition de Ray Oldenburg, il ne semble subsister que l'expression "ni la maison, ni le travail" pour caractériser le tiers-lieu. Et là encore, comme nous l'avons vu, les avis divergent : certains y trouvent une troisième voie, qui se distingue des deux autres, quand d'autres y voient un entre-deux, un espace qui fait tampon entre la maison et le travail.
Comme nous l'avons vu, plusieurs idéologies s'affrontent sur le terrain des tiers-lieux, ce qui a pour effet de générer des définitions, lorsqu'elles existent, très différentes les unes des autres. Il faut néanmoins préciser que la posture de nombreux acteurs est similaire à celle d'Antoine Burret, de ne pas donner de définition du tiers-lieu.
Pour tenter de dégager des caractéristiques communes à différentes catégories d'acteurs, nous nous appuierons sur le Manifeste des Tiers-Lieux, rédigé par Movilab, sur la définition du Commissariat Général à l'Egalité des Territoires (CGET)[71], sur celles de la Région Occitanie[72] et du département de l'Ardèche[73] sur les présentations des projets du Moulinage de Chirols[74] dans l'Ardèche, de DARWIN[75] à Bordeaux, et sur notre entretien avec les Amis Recycleurs, à Paris.
[71] "Nouveaux lieux, nouveaux liens. L'Etat s'engage pour les tiers-lieux dans les territoires", site web du Commissariat Général à l'égalité des territoires, consulté le 9 septembre 2019
https://cget.gouv.fr/actualites/l-etat-s-engage-pour-les-tiers-lieux-dans-les-territoires
[72] "Appel à projets - Labellisation Tiers-Lieux Occitanie" Site web de La Région Occitanie, consulté le 9 septembre 2019
https://www.laregion.fr/Appel-a-projets-Labellisation-Tiers-Lieux-Occitanie
[73] "Des tiers-lieux innovants à créer" site web du département de l'Ardèche, consulté le 9 septembre 2019
http://www.ardeche.fr/1370-appel-a-projets-tiers-lieux-innovants.htm
[74] "Accueil" Site web du Moulinage de Chirols, consulté le 9 septembre 2019
https://lemoulinagedechirols.org
[75] "Un éco-système écolo" site web de DARWIN, consulté le 9 septembre
https://darwin.camp/projet-darwin/un-eco-systeme-ecolo/
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Plusieurs caractéristiques ressortent de ces définitions :
· le tiers-lieu est animé par un esprit collaboratif, qui prend sa source dans le partage de valeurs similaires et qui génère de réelles synergies. Cet esprit doit être favorisé, accompagné et entretenu par des animateurs, la programmation, bien qu'importante, n'étant pas suffisante.
· pour qu'il y ait tiers-lieu, l'espace et les projets doivent nécessairement être appropriés par les usagers.
· le tiers-lieu comme les projets qui y prennent vie constituent un bien commun.
· Le tiers-lieu est un espace ouvert, qui accueille sans distinction des personnes de tous horizons. Ce foisonnement de profils constitue la richesse du lieu, dans la mesure où il permet la transversalité.
· le tiers-lieu s'organise selon une gestion horizontale. Il n'existe pas de relation hiérarchique ni entre les usagers, ni entre les usagers et les animateurs du tiers-lieu, qui au demeurant peuvent être des usagers.
La notion de "lieu" n'implique pas nécessairement l'existence d'un lieu physique. Il peut s'agir également d'une plateforme virtuelle regroupant ces caractéristiques. Cependant, on s'aperçoit que le caractère de tiers-lieu est le plus souvent associé à des lieux physiques, ancrés dans un territoire et faisant intervenir un réseau d'acteurs locaux et/ou nationaux.
Par ailleurs, de nombreuses définitions incluent le rôle du numérique dans les caractéristiques des tiers-lieux. Si son rôle a été important pour son émergence en France, il est cependant absent ou très limité dans certains
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tiers-lieux à vocation écologique prônant une démarche low-tech dans un but de sobriété énergétique.
C'est le cas notamment de la REcyclerie qui outre un accès Wifi ne propose aucune activité numérique et qui fait le choix de revenir à des techniques ancestrales dans son potager ou sa serre par exemple. C'est également le cas de l'écosystème DARWIN à Bordeaux qui s'engage "résolument dans la transition écologique, en actes [via] une stratégie « négaWatt » à l’échelle du site, articulant sobriété, performance énergétique et recours aux énergies renouvelables.[76]"
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